Brothers
Auteurs   Yu, Hua (Auteur)
Edition  Actes sud : Arles , 2008
ISBN   2-7427-7437-8
Prix   28
Langue d'édition   français
Langue d'origine   chinois
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Réservation
SiteNuméroCoteSection / LocalisationEtat
Plan d Orgon 076010612 R YU Adulte / Disponible
Notes : Li Guangtou, un nabab de chez nous autres, au bourg des Liu, avait conçu l'idée insensée de dépenser vingt millions de dollars rien que pour s'acquitter du droit d'aller faire du tourisme dans l'espace à bord d'un vaisseau Soyouz. Assis sur la lunette de ses toilettes en plaqué or, dont la renommée avait franchi les limites de nos murs, il imaginait déjà, les yeux clos, sa vie future de vagabond intersidéral lancé sur orbite : dans le silence insondable, il se penchait en avant et voyait la surface magnifique de la Terre se dérouler progressivement. Il sentit ses larmes couler malgré lui en réalisant pour la première fois qu'il n'avait plus aucun parent sur cette Terre. Il avait eu un frère, nommé Song Gang, auquel il était très lié. Song Gang était son aîné d'un an, il le dépassait d'une tête et c'était un type honnête et intransigeant. Il était mort trois ans auparavant et n'était plus qu'un tas de cendres dans une minuscule boîte en bois. Quand Li Guangtou pensait à cette petite boîte où Song Gang était enfermé, il soupirait : même un arbuste calciné aurait produit plus de cendres. Du temps où elle était encore de ce monde, la mère de Li Guangtou le lui répétait souvent : 'Tel père, tel fils.' C'était de Song Gang qu'elle parlait. Elle disait que Song Gang était aussi loyal et aussi bon que son père, que le père et le fils étaient comme deux courges qui auraient poussé sur la même tige. Dès qu'il était question de Li Guangtou, en revanche, elle secouait la tête et affirmait qu'il n'y avait rien de commun entre lui et son père, qu'ils étaient à cent lieues l'un de l'autre. Pourtant, quand Li Guangtou, l'année de ses quatorze ans, fut surpris dans les toilettes publiques à mater les fesses de cinq femmes, l'opinion de sa mère changea radicalement : elle dut se rendre à l'évidence et admettre que Li Guangtou et son père étaient eux aussi deux courges issues d'une même tige. Li Guangtou se souvenait parfaitement de la scène, du regard fuyant et effrayé de sa mère, et de son air triste quand elle avait tourné les talons et qu'elle avait marmonné, en essuyant ses larmes : - Tel père, tel fils. Li Guangtou n'avait jamais connu son père. Le jour de sa naissance, celui-ci avait péri dans des conditions peu ragoûtantes. Sa mère prétendait qu'il s'était noyé, et Li Guangtou avait voulu savoir où : dans la rivière ? dans l'étang ? dans le puits ? Mais sa mère était restée muette. Il était demeuré dans l'ignorance jusqu'au moment où il avait été pris en flagrant délit à mater les fesses des filles aux W.-C. et où, pour employer un mot à la mode, il avait alimenté la presse à scandale. Car c'est seulement quand le scandale des toilettes avait éclaté et que sa mauvaise réputation s'était répandue comme une traînée de poudre dans le bourg que Li Guangtou avait fini par apprendre que son père et lui étaient bel et bien comme deux courges poussées sur la même tige. C'est dans une fosse à merde que son père s'était noyé, il était tombé dedans par mégarde alors qu'il tentait d'apercevoir le derrière d'une fille aux toilettes.
Sources : Babelthèque

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